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SÉLECTION
Paru le : 12 juillet 2001
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Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se répète RÉPÉTITION (II) " Pianiste et chef dorchestre de renom, Christian Zacharias profite de son statut dinvité dhonneur du Festival Tibor Varga pour souligner limportance et la richesse de la répétition: lessence du geste créateur.
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Imaginez Sisyphe heureux...» Sur ce point, Christian Zacharias rejoint Camus. Car pour ce pianiste virtuose, chef de lOrchestre de chambre de Lausanne et hôte dhonneur du Festival Tibor Varga, le geste de cet homme condamné à hisser éternellement un rocher sur le haut dune colline, pour le voir redescende aussitôt, dévoile lessence de la création... et sa beauté. Musicien audacieux, plasticien de génie, sculpteur de linédit, tout artiste est voué à répéter. Répéter une tradition, un héritage, un geste ou même sa propre originalité. Loin de représenter une perte ou un défaut de créativité, la répétition constitue, aux yeux du pianiste allemand, la base du travail artistique et sa richesse.
Pour rendre hommage aux «gens qui consacrent leur vie à une idée», Christian Zacharias a profité de son statut dinvité principal du rendez-vous valaisan pour imaginer une exposition dart contemporain sur La force de la répétition dans lAncien pénitencier de Sion (voire notre édition du 5 juillet). En écho à une même réflexion menée dans le domaine musical. Rencontre.
Grâce à lexposition, vous soulignez le processus répétitif dans les arts plastiques. Quen est il pour le pendant en musique?
Christian Zacharias: Plusieurs concerts présenteront des Suvres basées sur le principe de la répétition, quil sagisse des Vexations de Satie (15 juillet), de compositions minimalistes de Feldman, Cage et Reich (29 août) ou de performances dans le cadre de lexposition (8 août). Je donnerai également une conférence sur Schubert (16 juillet). Schubert a créé un concept du temps complètement différent, non plus directionnel et linéaire, mais circulaire et empreint de «célestes longueurs». Je vais tenter dexpliquer ce changement, démonstration à lappui.
Le minimalisme a fait de la répétition un procédé essentiel de la composition. Existe-t-il, à lextrême opposé, des musiques qui en soient totalement exemptes?
La musique par sa nature-même est déjà une réitération. La réitération dun rythme, dune pulsation, dune vibration. En effet, si une note parvient jusquà nous, cest avant tout parce quelle crée une onde qui se propage en se reproduisant. Les formes musicales procèdent elles aussi de la répétition, du da capo baroque à la musique expérimentale. Et même les génies ont besoin de prédécesseurs pour nourrir leur talent. Bach, par exemple, a repris pour ses merveilleuses compositions des schémas quon lui avait enseignés.
Nest-ce pas une terrible relativisation de lacte créateur?
Il faut accepter dêtre rattaché à un fil didées. Parvenir à en dégager une seule dimportance, cest déjà une victoire.
La répétition est-elle nécessaire?
Elle donne à une Suvre sa cohérence, en même temps quelle lui offre une structure. Pensez notamment à la fameuse forme sonate basée sur la réexposition dun premier thème. La répétition permet aussi de se diriger, de re-connaître. La reconnaissance est un moment essentiel de la perception, elle procure sens et plaisir. Un tableau, on peut toujours sy attarder, y re-venir, le re-voir, alors quun morceau de musique se déroule dun bout à lautre, sans intervention possible. Aussi est-il important que ce dernier intègre dans sa structure lopportunité dune ré-écoute.
Comment expliquez-vous que certains motifs reviennent et que dautres disparaissent?
Il nexiste pas de raisons objectives. Cest au compositeur de décider et dorganiser son Suvre.
Votre métier dinterprète est aussi un métier de la répétition. Travailler les mêmes Suvres, présenter les mêmes programmes, enregistrer les mêmes pièces...
- Cest dailleurs le grand problème de notre vie. On commence par apprendre et on finit par répéter. Arrive alors le moment difficile: la routine. On croit savoir et on joue comme on livrerait des boissons. Pour échapper à cette fatalité, il faut sans cesse sécouter, se ré-couter, essayer. Et prendre aussi conscience que la richesse de notre travail réside dans la répétition, précisément.
Festival Tibor Varga, jusquau 13 septembre.
Pour plus de précisions: tél : 027/323 43 17
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SÉLECTION
Paru le : 5 juillet 2001
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La répétition comme processus de création MOT " 25 artistes ont investi les cellules de lAncien Pénitencier de Sion, le temps dune exposition proposée par le musicien Christian Zacharias.
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«Cela me plaisait de faire exploser les murs de la prison», explique Anne Blanchet. Elle est lune des vingt-cinq artistes qui participent à lexposition Encore, la force de la répétition, présentée jusquen septembre prochain dans lAncien Pénitencier de Sion.
Cest à linitiative du pianiste et chef dorchestre Christian Zacharias - invité dhonneur du Festival de musique Tibor Varga - que lidée dune exposition sur la répétition est née. Le propos étant dinterroger un ressort fondamental de la création - tant musicale que visuelle. Le choix des Suvres a ensuite été confié au Valaisan Nicolas Raboud, fondateur et organisateur de la Triennale de Bex. Dentente avec les membres du festival et le Musée de Sion, il a opéré une sélection pour illustrer diversement la thématique choisie.
RÉPÉTER JUSQUAU VERTIGE
Reconverti en espace dexpositions temporaires, lAncien Pénitencier offre dans ce contexte un cadre très particulier. En effet, tout dans cette architecture carcérale dit la répétition contraignante et terrifiante de son organisation répressive. Installées pour la plupart dans les cellules, les Suvres abordent la répétition par des biais très différents. En lien direct avec lunivers carcéral, on trouve les fameuses prisons de lItalien Piranèse. Visions dantesques ou kafkaïennes, ces gravures du XVIIIe siècle trouvent un écho dans la série des Chaises électriques de lartiste pop Andy Warhol; on connaît son amour du contraste: choisir une image forte et la multiplier au point de la vider de son sens.
Pourtant, si lon en croit les démarches du Polonais Roman Opalka et du Japonais On Kawara, la répétition peut atteindre un degré dobsession qui confine à lincantation, provoquant une sorte de vertige. Ainsi, le premier transcrit-il depuis 1965 la suite infinie des nombres naturels, en partant de zéro pour tendre vers linfini et selon une progression qui va du noir au blanc. Son Suvre sachèvera à sa mort ou quand il sera dans lincapacité physique de peindre. Egalement investi dans une recherche philosophique sur le passage du temps, On Kawara réalise quant à lui des Date Paintings, sur lesquelles il se contente de peindre la date du jour, enregistrant et capturant ainsi le temps.
DE L'ART DE LA VIE
Dune autre manière, la répétition revêt aussi la forme dun programme de vie chez les artistes bruts Paul Duhem, Pierre Kocher, Hans Kruesi, Marco Raugei et Theo - dans la mesure où elle est un moteur essentiel de leur activité compulsive. Avec Anne Blanchet (GE), la notion de programme sefface pour faire place à lessence de vie - celle qui traverse notre respiration et qui pulse dans nos veines. Une répétition qui sautorise des modulations et quelle a symbolisée par une projection qui occupe le fond dune cellule. On y suit louverture et la fermeture de cinq portes coulissantes en verre, qui obéissent chacune à un rythme différent. La vidéo a été cadrée de telle sorte que depuis la cellule den face, on a limpression que le mur souvre: «Cest un peu comme la respiration, la vie du prisonnier dans sa cellule... et qui dit ouverture dit fermeture, à limage de linspiration et de lexpiration.»
De son côté, Olivier Estoppey (VD) travaille depuis longtemps sur la répétition en terme doccupation de lespace. Il a ainsi disposé une vingtaine de cocons en béton dans une cellule, jouant sur lespace relativement restreint et oppressant du lieu.
Benjamin de lexpositon, Hervé Graumann (GE) entretient avec la thématique imposée une relation distanciée et un brin ironique. Il a créé il y a quelques année un petit personnage informatique, prénommé Raoul Pictor. Ce dernier habite un écran dordinateur et travaille à la place de son créateur. Qui la programmé pour réaliser des peintures que la machine crache toutes les trois minutes! Dapparence ludique et légère, cette Suvre génère pourtant une réflexion essentielle sur la création, puisquelle sen prend aux notions du génie de lartiste et de loriginalité de lSuvre.
Quelle soit programmée, subie, vécue, sublimée, voire anticipée, la répétition apparaît ainsi comme une donnée primordiale pour de nombreux artistes.
Encore, la force de la répétition, Ancien Pénitencier (rue des Châteaux, Sion) jusquau 17 septembre, ouvert tous les jours de 11h à 18h. Rens.: tél: 027/606 46 70.
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